Les Pictes pouilleux et affamés sont de retour. On a aperçu leurs bateaux proches des côtes du tuath des Cambrènes.

 

Le Pennarth convoque l’armée de ses clans fidèles. Mais les Pictes sont rusés, ils ont débarqué aux frontières du bro Ap Blaed, le clan du loup. Les Ap Blaed font partie des bros du royaume, mais on ne les croise guère. Ils sont peu nombreux et peu prospères. On ne les aime pas beaucoup. Ils vivent reclus dans leur forêt et l’on raconte qu’ils franchissent trop souvent les frontières de l’Autre Monde. Ce sont d’excellents chasseurs, mais de piètres agriculteurs et bâtisseurs. Mais ils font partie du royaume et le Royaume ne fait qu’un avec son Roi. Le tuath est prospère et fécond, et de très nombreux guerriers prennent les armes pour rejoindre le Roi et défendre, malgré leur défiance, les Ap Blaed.

 

La grande armée organise sa veillée d’armes, et lorsqu’un émissaire des Pictes vient pour provoquer le Pennarth, comme il doit être fait la veille de la bataille, le Roi veut lui montrer sa puissance et son opulence. Il a exigé que pour lui soient chassés puis rôtis 7 sangliers féroces. Les 7 sangliers sont tués et rôtis et le Pennarth en mange une part de chaque, laissant le reste à l’abandon pour faire enrager le Picte pouilleux et affamé, comme tous ceux de son peuple. Car il est roi d’un royaume prospère où les vaches ont le pis gros, les champs sont dorés et fertiles, les abeilles douces et travailleuses, les porcs gras et indolents. Il est le roi d’un royaume où l’on taille la pierre et plie le métal. Il est le roi d’un royaume où l’on arrache l’or à l’eau et à la terre pour embellir le cou des femmes. Et pour couronner ses vantardises guerrières, le Roi prend trois femmes sous le regard du Picte solitaire, affamé et pouilleux. Le Picte a beau trouver ses mots avec la fluidité du serpent, il ne parvient pas à ternir l’aura du Pennarth, et il doit à la fin s’en aller la queue basse.

 

Le jour de la bataille s’avance et l’armée est grande et forte, mais les Ap Blaed ne sont pas encore sortis de la forêt pour rejoindre les rangs de la grande armée du Roi. Les Pictes l’ont compris et ils se mettent en mouvement pour contourner l’armée, se disperser et peut-être se lancer dans des rapines.

 

Les augures ont prévenu le Pennarth : il faut attendre. Mais le Roi est orgueilleux, il a de nombreux cavaliers aux lances d’argent, il a des guerriers aux longues épées, il a des archers aux flèches rouges. Les Pictes sont armés de pieux et de gourdins, ils sont valeureux et brutaux, mais ils ne sont pas assez nombreux. C’est pour cela qu’ils font mouvement, pour échapper au combat, pour échapper à la main du Pennarth.

 

Le Roi est en haut de la colline, il a le soleil dans le dos, les Pictes ne verront même pas les cavaliers qui les cloueront au sol. Le Roi du royaume prospère ordonne l’attaque. Il va massacrer les Pictes pouilleux et l’on chantera sa légende. Les chevaux s’élancent, les lances d’argent éclatantes pointées dans les rayons du soleil, mais soudain une meute de loups sort d’un bosquet. Et les chevaux ont peur des loups, ils se cabrent et font tomber leurs cavaliers qui s’enfuient en courant et tombent sous les pieux et les crocs. Alors les guerriers sortent leurs longues épées et s’élancent dans la pente. Les archers encochent leurs flèches pour venger leurs compagnons à cheval. Mais alors que les guerriers courent dans la pente, et que les premières flèches sifflent, une nuée de corbeaux obscurcit le ciel et empêche la pluie de flèches de s’abattre sur les Pictes, qui voient de nouveau clair. La terre elle-même se dérobe sous les pieds des guerriers, les rats et les rongeurs ont creusé tant de galeries dans cette lande que les pieds des hommes se font piéger et meurtrir.

 

La grande armée du roi le plus riche des âges est décimée par une bande de pouilleux, une poignée de loups, une nuée de corbeaux et une horde de rats terreux.

 

Mais le Roi est fier et il fait face aux Pictes. Il taille et tranche sans faiblir. Alors le Picte affamé se retrouve face à lui. Et il lui dit :

- Tu aurais dû manger les 7 sangliers que tu as arrachés à la forêt, car c’était ton dernier repas.

Le Roi veut lui répondre et baisse sa garde pour crier :

- Je suis le Roi d’un royaume où les vaches ont le pis gros, où les chiens sont rapides et fidèles…

Mais le Picte affamé lui perce la gorge de son pieu taillé.

- Roi orgueilleux, tu as oublié que ton chien était un loup, que ta vache était un auroch, que ton porc était un sanglier, que tes abeilles furent des guêpes. Tu as oublié qui tu étais, étouffé par ton arrogance. Et tu le payes de ton sang.

 

Alors l’armée s’est débandée, et le royaume a tremblé. Les survivants des clans courent vers la forêt du bro Ap Blaed, poursuivis par les Pictes furieux. Alors qu’ils pénètrent sous les frondaisons la brume monte, et la nuit va tomber. Mais les Pictes s’arrêtent, car ils ont soudainement peur de la forêt des loups. Ils hurlent et vocifèrent. Mais ils déferleront sûrement demain, dès que la brume sera retombée.